Interview de Superpoze

« Plus je grandis dans la musique, plus je prends le temps »

Jeudi 16 mars dans l’après-midi, nous avons eu la chance de rencontrer le musicien électro au bar de La Lune des Pirates. Juste avant son concert du soir dans cette salle de concerts d’Amiens. Décontracté et souriant, Superpoze a pris le temps de répondre à toutes nos questions. Il nous a même fait écouter un remix de Dr. Dre sur son portable !

 

Y a-t-il d’autres musiciens dans votre famille ?

Ma grande sœur a appris à faire de la musique mais elle n’en a pas fait son métier. Elle a appris le saxophone au Conservatoire. Mais sinon je suis le seul musicien de ma famille. Mon père était journaliste musical et ma mère… Rien à voir avec la musique. En fait, je suis allé dans un collège avec des horaires aménagés : le matin, j’étais en cours au collège, et l’après midi, j’allais au Conservatoire pour faire de la musique. J’ai pu apprendre les percussions : la batterie, le xylophone, le marimba. Je faisais donc un cursus spécial, c’est comme sport études, mais avec la musique.

Quand vous étiez adolescent, quel style de musique écoutiez-vous ?

Je suis passé par plein de styles mais ce qui m’a fait commencer la production électronique, c’est le rap. Je faisais des instrus pour des rappeurs de mon lycée. J’ai commencé à produire pour eux. J’écoutais beaucoup de rap dans les années 1990. Des rappeurs comme Fabe ou Zoxea. Puis, petit à petit, je me suis émancipé des rappeurs du lycée avec qui je faisais de la musique. Et j’ai commencé à faire ma propre musique, totalement instrumentale, et électronique.

Quel était votre morceau préféré à cette époque ?

Quand j’avais quinze / seize ans, il y a un artiste que j’adorais et d’ailleurs que j’aime encore aujourd’hui, c’est Bonobo et j’écoutais tout le temps son morceau « Ketto ». Je l’avais découvert à l’époque sur MySpace. C’est un morceau électro et calme, avec beaucoup de samples, d’instruments acoustiques. C’est de la musique électronique, mais pas spécialement dansante.

Aimiez-vous bien le lycée ?

J’adorais le lycée ! Mais aussi parce que je faisais plein de musique à côté. J’ai fait une section L, littéraire, et j’avais aussi huit heures de musique par semaine au lycée. Une option lourde. Mais ce n’était pas lourd, c’était cool ! J’aimais beaucoup ça. C’est à ce moment-là que où j’ai rencontré les potes avec qui j’ai monté mon label plus tard. Il y en a plusieurs d’ailleurs de cette classe qui ont fait carrière dans la musique. C’était vraiment de belles années !

Quand vous étiez adolescent, pourquoi avez-vous choisi de faire de la musique ?

En fait, mes parents ne voulaient pas que je fasse un cursus scolaire classique. Ils pensaient que j’avais tout intérêt, comme ma sœur, à être dans un cursus alternatif, en faisant de la musique, du sport ou quelque chose d’autre. Ils voulaient que nous nous ouvrions à d’autres disciplines, que nous ne restions pas dans l’enceinte d’un seul établissement scolaire. Comme j’ai des parents très mélomanes et que nous avons été baignés dans la musique, j’ai passé des concours d’entrée aux classes à horaires aménagés. J’avais six/sept ans. Il y avait différents tests. Mais je ne savais pas que je ferai de la musique mon métier. Après, j’ai fait une licence d’histoire et j’ai commencé un master. A l’époque, je commençais déjà à faire des concerts, à jouer les morceaux que j’avais commencé à produite dès le lycée. Après mon premier concert, on m’a rappelé pour rejouer le week-end d’après. Tout a commencé comme ça.

Avez-vous fait un concert dans votre lycée ?

Je faisais de la batterie dans un groupe au lycée et quand j’étais en seconde, nous avons fait un concert dans la cour du lycée. C’était pour la grande fête annuelle, la Fête du printemps. Chaque année, il y avait une scène qui était montée et on faisait toujours des concerts. C’était super.

Qu’auriez-vous fait comme métier si vous n’aviez pas fait de musique ?

C’est une très bonne question… Car j’ai commencé très tôt à faire de la musique et à ne faire que ça, donc je ne sais pas. J’ai donc fait une licence d’histoire après le bac, mais sans penser à de la professionnalisation. J’avais juste envie d’être nourri au niveau intellectuel. Je me suis inscrit dans cette filière car c’est ce qui m’intéressais le plus, qui me passionnait le plus. Mais je n’avais aucune idée de ce que je ferai après. Quand j’étais enfant, je voulais être comédien, faire du cinéma. Alors peut-être que si je ne faisais pas de la musique, je ferais du cinéma maintenant ! (rires)

Pourquoi avez-vous fait de la musique électronique ?

J’aime profondément la musique électronique. Mais je ne l’ai jamais envisagée comme un style de musique. Ce n’est pas comme le rock ou le hip-hop. La musique électronique, c’est une méthode de production et aussi une catégorie d’instruments. Ce sont des instruments électroniques. Après on peut faire la musique qu’on veut avec des instruments électroniques : cela peut être une musique très calme autant qu’une musique très violente, une musique pour danser ou non. Cette musique est très liée à l’avancée de la technologie, aux logiciels qui se développent, aux machines, aux synthétiseurs. Adolescent, j’ai téléchargé des logiciels de musique parce que c’était facile alors qu’acheter une belle guitare, cela coûtait cher. J’ai commencé comme ça et c’est devenu une méthode de production. Aujourd’hui, dans ma musique, il y a beaucoup de vrais instruments. J’utilise beaucoup de piano, de guitares, des vraies percussions et c’est sur mon ordinateur que j’enregistre tout, que je mixe, que je construis les morceaux. Avant tout, pour moi, la musique électronique est plus une méthode qu’un style !

Qu’est-ce qui vous a plu dans cette musique ?

J’aime la spontanéité avec laquelle on peut composer cette musique. Quand tu as un groupe de rock au lycée, tu fais des morceaux dans ton local de répétition. Tu composes. Tu écris les textes. Et après, il va falloir les enregistrer. Et c’est toujours compliqué de les enregistrer ! Alors que la musique électronique, la composition et l’enregistrement se font en même temps. Ce n’est pas séparé. C’est ça que j’ai adoré. Et en plus tu peux tout faire chez toi, dans ta petite chambre, dans ton home studio.

Combien de temps avez-vous mis pour enregistrer votre dernier album ?

Plus je grandis dans la musique, plus je prends le temps. Parce que forcément, je deviens de plus en plus exigeant. Le morceau qui m’a fait avoir des concerts au tout début, je l’ai enregistré, mixé et masterisé en seulement trois heures. J’avais 18 ans. Pareil pour mon premier maxi. Je l’ai fait rapidement. Maintenant, je mets un an à faire un album parce que je reviens sur les morceaux, je réfléchis…

Une fois votre premier album sorti, avez-vous directement travaillé sur le deuxième ?

Je me suis d’abord laissé un sas de régénération, de renouvellement d’idées. Et ensuite, je me suis installé un lieu d’enregistrement. Pour mon premier album, j’avais aménagée une pièce spécialement. Pour le deuxième, je suis allé ailleurs, dans une autre maison, dans une autre ville. Je suis allé vivre un mois et demi dans cette maison. J’ai travaillé comme ça tous les jours. En fait, pour ce deuxième album, il y a eu un mois d’écriture et après six mois de modifications et d’arrangements.

Pourquoi avez-vous choisi le thème du post-apocalyptique comme axe de votre album ?

Hou là (rires). Je pense qu’on vit une époque où on est moins surpris, où les choses sont plus normalisées. Nous recevons plein d’infos, notamment sur nos smartphones. Plus rien ne nous étonne vraiment. Si quelque chose qui nous dépasse encore et dont nous n’avons pas encore l’habitude arrivait, ce serait un vertige énorme. Comme par exemple si le sol se mettait à trembler. Nous serions tous paniqués. Alors que si François Fillon a encore un nouvel ennui judiciaire, nous en avons l’habitude. Je plaisante quand je dis ça mais voilà, il y a cette idée de quelque chose qui nous dépasse encore. C’est assez inspirant et après cela vient aussi de films qui traitent de ce sujet. Certaines séquences sont très inspirantes esthétiquement. Comme les bandes-sons de ces films.

Quel film en particulier ?

Il y a un film que j’adore : Melancholia du réalisateur Lars Von Trier. Ce film raconte un diner de mariage qui se passe très mal, alors qu’une planète, Melancholia, se rapproche de la Terre et va venir la percuter. C’est un très beau film. J’espère que vous pourrez le regarder un jour en classe.

Quel est votre morceau préféré dans tous ceux que vous avez composés ?

C’est compliqué comme question. Je vais dire « Opening », qui est le nom de mon premier album et qui est surtout le premier morceau de ce premier album. Ça veut dire « ouverture ». C’est un morceau qui me touche beaucoup car c’est un des premiers morceaux que j’ai composé en osant mettre peu de choses dedans, en laissant du temps. C’était une structure inhabituelle pour moi. Je n’ai pas cherché quelque chose d’efficace ou de direct. J’ai voulu créer un espace différent par rapport à ce que j’avais l’habitude de faire. Donc c’est un morceau assez fondateur pour moi.

Qu’écoutez-vous comme musique en ce moment ?

J’écoute plein, plein de choses. Je réfléchis… En ce moment, je travaille avec Lomepal, donc j’écoute beaucoup ce qu’il fait. C’est un rappeur de la bande à Nekfeu. Sinon, j’écoute beaucoup des bandes originales de films. Il y a un compositeur que j’aime beaucoup, c’est Jóhann Jóhannsson. C’est lui qui a fait la BO de « Premier contact », un film de science-fiction, avec des extraterrestres qui arrivent sur Terre. Et la discussion qui démarre entre les humains et les extraterrestres. C’est un super film. Et j’écoute toujours un peu de musique classique. Cela me reste de l’époque où j’étudiais au Conservatoire. J’adore Debussy, un compositeur de la fin du XIXe / début XXe siècle. Il a beaucoup composé pour le piano. Sa musique est très belle. Sinon, j’écoute et j’ai beaucoup aimé l’album de Nekfeu. J’adore ce disque. Dessus, il a invité un super musicien de jazz, Archie Shepp. C’est fou qu’il ait invité ce musicien. C’est un très très vieux monsieur. Une légende.

Avez-vous déjà fait des reprises de morceaux connus ?

Dans la musique électronique, on ne fait pas de reprises, plutôt des remixs. Mon tout premier remix, c’est celui du morceau « Still D.R.E. » de Dr. Dre. Je ne rappais pas dessus. J’avais juste repris l’instru et j’avais fait un autre morceau avec. Sinon quand j’étais ado, je faisais des reprises avec mes groupes de rock. Des reprises d’Oasis ou de Nirvana. C’est très important dans ta construction musicale de faire une reprise de Nirvana et de la jouer le 21 juin devant ton lycée ou ta fac ! (rires).

Avez-vous des projets de duo ?

Pas vraiment en fait. Je fais de la musique en solo, mes albums ou je produis de la musique pour d’autres personnes, dans le rap. Sinon je fais de la musique pour des pièces de théâtre, pour le cinéma, des documentaires ou des films. C’est ma manière à moi de collaborer. Donc ce n’est pas vraiment des duos. Plus des collaborations. D’ailleurs, je viens d’enregistrer un morceau avec un musicien électro qui s’appelle Jacques. Le morceau va sortir avant l’été.

Avez-vous déjà rencontré des stars ?

Cela dépend qui vous considérez comme une star. Alors, je n’ai pas rencontré Booba et je n’ai pas rencontré M. Pokora, puisque vous parliez d’eux tout à l’heure. Je n’ai pas rencontré Beyoncé non plus. Mais j’ai rencontré Nekfeu. J’ai même travaillé avec lui. Alors j’ai une histoire… J’ai un très bon ami, dont le pseudo de musicien est Stwo. Il a fait des instrus dans sa chambre et il s’est fait repérer sur Internet. Aujourd’hui, il fait des productions pour Drake et il est parti habiter aux Etats-Unis. Donc je connais un mec qui connaît des stars !

Avez-vous des sponsors ?

Je n’ai pas de contrats avec des marques, mais cela m’arrive parfois que des marques me donnent des instruments de musique ou des vêtements pour des photos.

Pourquoi êtes-vous presque toujours présent dans vos clips ?

Parce que je fais une musique sans parole, sans texte. Je trouve ça important de l’incarner, de la relier à quelque chose d’humain, de montrer que c’est une personne qui l’a fait. La perception de la musique électronique est compliquée : c’est une musique assez abstraite, faite avec des machines, où il n’y a pas de voix. Quand on ne connaît pas bien la musique électronique, on peut se dire : « est-ce que c’est vraiment de la musique ? ». Donc je trouve cela important de l’incarner. Un peu comme un acteur en fait !

Pourquoi les images dans vos clips sont-elles au ralenti ?

Pour cet album, j’ai fait une vidéo pour chaque morceau et toutes ces vidéos sont en slow motion. Pour moi, les morceaux sont des récits eux-mêmes et je ne voulais pas additionner un autre récit, celui du clip. Cela ne m’intéressait pas d’avoir un clip narratif par-dessus un morceau qui d’après moi raconte déjà une histoire. Je cherchais donc à avoir des images thématiques autour des références cinématographiques que j’ai. Que ce soit des films de catastrophes, des films de survivalistes, où il y a toujours des instants, que j’appelle des instants de basculement, de rupture, qui sont ces moments où la planète arrive, explose ou quelque chose s’effondre. Ces instants qui durent quelques secondes et qui en fait durent l’infini car c’est là que toute l’émotion arrive. Après, il y a une autre raison : c’est la manière dont sont visionnés les clips sur Youtube, avec un système de suggestions. Cela m’a toujours posé beaucoup de questions, cet algorithme qui nous conseille d’aimer ceci ou cela. J’ai toujours trouvé cela très étrange. Alors j’ai essayé de faire des liens thématiques, d’avoir des images qui font vraiment sens entre elles pour voir si les vidéos se suggèrent les unes les autres.

Dans quels pays avez-vous déjà joué ?

La liste est longue. J’ai eu la chance de beaucoup bougé pour la musique. J’ai joué en Europe : France, Belgique, Espagne, Angleterre, Italie, Allemagne, mais aussi en Turquie, aux Etats-Unis, au Canada au Mexique, en Colombie. Je suis allé également en Asie : au Japon, en Chine, au Cambodge, au Vietnam, aux Philippines. J’ai été programmé aussi à un festival au Malawi. C’était au bord du lac Malawi. Le site avait l’air incroyable. Mais j’ai eu un souci et je n’ai pas pu m’y rendre. J’étais très triste car c’état ma seule date en Afrique.

Dans quel pays ou dans quelle ville avez-vous connu la meilleure ambiance ?

Je suis déjà allé cinq fois au Mexique. J’ai joué dans un festival à Mexico il y a deux ans où l’ambiance était incroyable, très particulière. Et la première date de ma nouvelle tournée s’est faite à Tulum, toujours au Mexique. C’était sur la côte est, pas très loin de Cuba et de la Floride. J’adore ce pays ! Sinon j’ai joué déjà à Tokyo… Je pense que le fait d’être à Tokyo m’a facilité mon émotion. Et évidemment, à chaque fois que je joue à Caen, dans ma ville, c’est très particulier parce qu’il y a toute ma famille. Je ressens quelque chose de très fort. Et aussi à Paris, car j’y habite maintenant.

Quel est l’intérêt pour vous de venir jouer dans une petite ville comme Amiens ?

Je fais de la musique pour les gens et ces personnes peuvent être partout. Et il faut aller jouer cette musique partout. C’est cela qui est intéressant. Dans des très grandes villes comme des plus petites. Dans des festivals branchés ou pas. Je ne suis pas sectaire. Je vais jouer partout, la même chose. Tout le monde peut apprécier la bonne musique. C’est aussi la force de la musique instrumentale. Il n’y a pas de barrière pour la jouer.

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